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Menthe Piment
20 décembre 2017

Le cas Musa Kart, en Turquie

Le 31 octobre 2016, lors de la vague d’arrestations ayant suivi le coup d’Etat manqué en Turquie, une dizaine de collaborateurs du principal journal d’opposition turc Cumhüriyet sont arrêtés par la police. Parmi eux, le dessinateur Musa Kart. Ce n’est pas la première fois que le caricaturiste subit les foudres du régime, comme en 2014 où il avait risqué neuf ans de prison en dénonçant les liens entre Erdogan et une affaire de blanchiment d’argent. Ses collègues se sont mobilisés à travers le monde afin de le soutenir, en dessins. « Quelles explications vont-ils donner au reste du monde ? Je suis placé en détention pour avoir fait des dessins humoristiques ! », a lancé Musa Kart le 31 octobre 2016. Le caricaturiste turc s’adressait aux journalistes présents lors d’un raid organisé au sein du quotidien kémaliste Cumhüriyet où il siège au conseil d’administration. Peu de temps après, les autorités ont arrêté Musa Kart ainsi qu’au moins douze de ses collègues. Son domicile a été fouillé. Aujourd’hui âgé de 63 ans, Musa Kart a déjà passé 6 mois en prison aux côtés de plusieurs de ses collègues du journal Cumhüriyet. Suite à la victoire du président Erdogan au référendum sur le renforcement des pouvoirs présidentiels, les autorités turques ont informé les avocats du caricaturiste emprisonné que les procureurs avaient requis une peine maximale de vingt-neuf ans et que la date de son procès et de celui de ses collègues avait été fixée au 24 juillet 2017. Les charges retenues contre lui : « collusion avec une organisation terroriste, sans en être membre ». Manifestement, tous les journalistes en Turquie courent le risque d’être injustement et habilement accusés de terrorisme. J’ai eu l’occasion de me rendre dans les locaux du journal Cumhüriyet dans le cadre d’un vaste entretien avec le caricaturiste Musa Kart le 8 juillet 2016, c’était une semaine avant la tentative de coup d’État qui a entraîné une répression des libertés encore plus prononcée dans le pays. La première chose que j’ai vue en arrivant dans le hall d’entrée était la caricature de Musa Kart mettant en scène le président Recep Tayyip Erdogan aux côtés d’Hitler – sans aucun doute le type de dessins qui dérangent le président, fort susceptible. Les menaces judiciaires n’ont pas permis de mettre un terme à la longue tradition turque de la satire politique car les caricaturistes turcs se font un devoir de fustiger les puissants. « Pour un opposant, garder le silence dans de telles circonstances serait du jamais vu », explique Musa Kart, un caricaturiste chevronné qui s’est battu ces dernières décennies lors de procès très médiatisés pour avoir caricaturé Erdogan en chaton et en braqueur de banque. « Du point de vue occidental, [les attaques judiciaires] sont quelque chose de comique et d’absurde. Ici, elles n’ont rien d’anormal. Je ne connais pas un seul journaliste ou caricaturiste sérieux qui ne fasse pas l’objet d’une procédure judiciaire ». « L’humour peut s’avérer être un moyen redoutable pour combattre le gouvernement », m’a expliqué Musa Kart. « Même si nous n’acceptons pas la pression [de la censure du gouvernement], nous sommes constamment sur le qui-vive car nous savons qu’ils nous attendent au tournant. » Je n’ai pas pu m’empêcher de penser aux gardes armés postés au rez-de-chaussée et dans le hall d’entrée. « Le journal Cumhüriyet est l’un des derniers bastions de la résistance », m’a-t-il dit de façon détachée. Musa Kart, qui dessine depuis plus de vingt ans, s’est exprimé sans ménagement sur les dangers de la caricature dans la Turquie d’Erdogan. « Je peux dire qu’il y a plus de pression ces derniers temps que jamais auparavant », m’a-t-il dit. Quant à la longue série de chefs d’accusations qui pèsent contre lui, Musa Kart a souvent dit qu’il trouvait tout cela plutôt loufoque. « Si je suis reconnu coupable, cela se transformera en une comédie dramatique », a-t-il commenté. Que faire pour attirer l’attention sur l’incarcération injuste de Musa Kart et ses collègues? Les Nations Unies ont envoyé un rapporteur spécial chargé de surveiller la situation. La British Cartoonist Association a acclamé Musa Kart. Le Comité pour la Protection des Journalistes a mis à l’honneur Can Dündar, ancien rédacteur en chef du quotidien Cumhüriyet. Mais au beau milieu d’une répression arbitraire de la presse – la Turquie est actuellement le pays qui emprisonne le plus de journalistes au monde – le cas de Musa Kart et de ses collègues a été rayé de la carte. « La caricature permet d’exprimer un concept de façon directe et concise », expliquait Musa Kart, « et dans ce pays, il y a grand besoin de ce genre de communication ». Pour l’heure, nous devons nous replonger dans les archives de Musa Kart pour combler le vide. Son encart au sein du journal Cumhüriyet reste vide.

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Quand on croit que cela va faire du bien, la menthe piment vous rappelle que c'est un piment. Comme l'actualité qui nous berce chaque jour et qui nous rappelle combien le monde est parfois pourri.
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